Le Projet « International Tobacco Control » (ITC) est la première étude de cohortes réalisée au niveau international sur la consommation de tabac. Son objectif est d’évaluer au niveau national l’impact psychologique et comportemental des dispositions fondamentales de la Convention cadre pour la lutte antitabac de l’OMS. Cette collaboration entre des responsables nationaux des politiques de santé et des organisations internationales de santé est actuellement déployée dans 21 pays qui représentent 50% de la population mondiale, 60% des fumeurs et 70% des consommateurs de tabac dans le monde.
Dans chaque pays, l’équipe du projet ITC mène des enquêtes longitudinales annuelles pour évaluer l’impact de la lutte antitabac et identifier ses déterminants, dans chacun des domaines suivants :
• Les avertissements sanitaires et les descriptifs sur les emballages
• La législation antitabac
• Les prix et la taxation des produits du tabac
• L’éducation et la sensibilisation du public, et l’aide au sevrage
• La publicité et la promotion en faveur du tabac
Toutes les enquêtes ITC sont élaborées selon les mêmes principes et méthodes. Les questions sont rédigées de manière identique ou équivalente afin de permettre des comparaisons valides entre pays. L’objectif du projet ITC est de fournir des arguments basés sur des preuves pour guider les politiques mises en œuvre dans le cadre de la lutte anti-tabac, et de mener une évaluation systématique de l’efficacité des législations.
La France a ces derniers temps enregistré des avancées conséquentes dans la lutte contre le tabagisme. C’est la première nation européenne à avoir ratifié la Convention cadre de l’OMS, le 19 octobre 2004 ; elle a, de 2003 à 2008, mis en œuvre un programme national global, basé sur des preuves, de lutte contre le cancer, ainsi que des mesures aussi significatives que l’augmentation substantielle des taxes, le financement d’organisations non gouvernementales, la diffusion d’importantes campagnes de prévention, le développement des services d’aide à l’arrêt du tabac, l’adoption d’avertissements plus visibles sur les paquets de cigarettes, et l’interdiction de vente aux moins de 16 ans.
L’interdiction totale de fumer sur les lieux de travail et dans les lieux affectés à un usage collectif a été introduite en deux temps :
1) en février 2007 dans toutes les entreprises, bâtiments administratifs, établissements d’enseignement et de santé ; et
2) en janvier 2008, dans tous les autres lieux ouverts au public tels que les cafés, bars, hôtels, restaurants, discothèques et casinos.
En 2006, des chercheurs de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), de l’Institut national du cancer (INCa), et de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) ont collaboré avec l’équipe du projet ITC pour la mise en place du projet ITC France. L’objectif était la mise en place d’une enquête ITC en France, pour exercer un suivi et une évaluation exhaustive des mesures nationales de lutte contre le tabagisme, et notamment de la mise en place en deux phases de l’interdiction totale de fumer. La première vague de l’enquête ITC s’est intéressée aux attitudes et aux comportements des fumeurs et des non fumeurs de fin 2006 à début 2007. Un échantillon de 1 735 fumeurs adultes et 525 non fumeurs adultes a été recruté par téléphone au moyen d’un système de composition aléatoire des numéros de téléphone. Cette première phase a été conduite avant la mise en place de l’interdiction de fumer de février 2007 sur les lieux de travail et dans les centres commerciaux, les aéroports, les gares, les hôpitaux et les écoles. Les répondants ont ensuite été recontactés de septembre à novembre 2008, pour déterminer et évaluer l’impact aussi bien de l’interdiction de 2007 que de celle concernant les cafés, bars et restaurants, entrée en vigueur en janvier 2008.
Le rapport national ITC France présente les attitudes et comportements des fumeurs et des non fumeurs de décembre 2006 à fin janvier 2007, avant l’entrée en vigueur des interdictions de fumer et les attitudes et comportements des fumeurs et des non fumeurs vis-à-vis de l’interdiction de fumer dans les cafés, bars, et restaurants de janvier 2008.
La première vague de l’enquête ITC France s’est déroulée de novembre 2006 à février 2007. Durant cette période, on constate le déclin de la prévalence tabagique dans l’ensemble des sociétés occidentales.
Prévalence du tabagisme
La prévalence des fumeurs n’a cessé de diminuer depuis le début des années 90, pour atteindre 30% de fumeurs (quotidiens ou occasionnels) chez les 18 à 75 ans (34% chez les hommes et 25% chez les femmes) en 2007-10. Cette baisse a commencé il y a une quarantaine d’années chez les hommes, mais seulement vingt ans chez les femmes. La prévalence est la plus élevée chez les jeunes, puis diminue avec l’âge : 38% des 18-44 ans déclarent fumer au moins occasionnellement contre 30% des 40-54 ans, 18% des 55-64 ans et 9% des 65-75 ans. En 2005, on comptait 26% de fumeurs quotidiens chez les adultes de 15 ans et plus11. La prévalence par sexe était de 30% chez les hommes et de 23% chez les femmes. L’écart important entre les hommes et les femmes autour de 30 ans s’explique par les projets de grossesse ou par la grossesse elle- même, ou par la présence des nourrissons ou enfants en bas âge arrivés dans le foyer : ces périodes de la vie constituent d’excellentes motivations pour les femmes qui souhaitent arrêter de fumer, au moins temporairement.
Politiques de lutte antitabac
La France a été la première nation européenne à ratifier la Convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (Cclat) en octobre 2004. La Cclat traite l’épidémie mondiale du tabagisme au travers d’une batterie de mesures destinées à réduire aussi bien l’offre que la demande de tabac, et qui concernent notamment : les prix et les taxations, l’exposition à la fumée de tabac, l’emballage et l’étiquetage des produits du tabac, la publicité, la promotion et le parrainage, l’arrêt du tabac et le traitement de la dépendance.
Prix et taxation
La hausse des taxes sur les produits du tabac est considérée comme l’une des mesures les plus efficaces dans la stratégie globale de la lutte antitabac, en particulier vis-à-vis des jeunes (OMS 2007). La Cclat incite à la mise en place de politiques de taxation et de prix, de restrictions à la vente et de limitations imposées aux voyageurs internationaux important des produits du tabac en duty free.
La France a augmenté le prix des cigarettes manufacturées de 8% en janvier 2003, de 18% en octobre 2003 et de 9% en janvier 2004. La dernière augmentation est intervenue en août 2007, faisant passer le prix du paquet le plus vendu de 5 euros à 5,30 euros.
Suite aux augmentations de prix de 2003 à 2004, les ventes de cigarettes manufacturées en 2004 ont été inférieures d’un tiers à celles de 2002,12 et la prévalence du tabagisme qui était de 35% en 2000 est tombée à 30% en 2005. Les conséquences imprévues de ces augmentations de prix ont été la hausse des achats transfrontaliers, l’augmentation de 15% de la consommation de cigarettes roulées et, dans une moindre mesure, une augmentation de la contrebande en France.
En effet, dans une économie de marché, la demande d’un bien (ici le tabac) est liée au prix de ce bien. C’est ainsi la loi de la demande qui indique que la demande diminue lorsque le prix du bien demandé augmente. Cette sensibilité de la demande à la variation du prix d’exprime sous la forme d’une élasticité de la demande par rapport au prix. La formule de l’élasticité-prix est :
variation de la quantité demandée (%) / variation du prix (%).
Politiques anti-tabac
Le gouvernement français a introduit une législation antitabac en deux temps, en 2007 et 2008. L’interdiction de fumer est entrée en vigueur dans les lieux publics, les lieux de travail, les hôpitaux et les écoles le 1er février 2007 ; cette réglementation a ensuite été étendue aux restaurants, cafés, bars, casinos et discothèques le 1er janvier 2008. Dans ces lieux, il est totalement interdit de fumer en dehors d’espaces fumeurs devant répondre à des normes très strictes. Le gouvernement a prévu des sanctions en cas d’infraction, et augmenté les ressources nécessaires à l’application de la nouvelle réglementation depuis son entrée en vigueur.
Sensibilité aux avertissements sanitaires
Dans le groupe des 14 pays ITC, les fumeurs français sont les plus nombreux (69%) à déclarer avoir très souvent ou souvent remarqué les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes ou de tabac à rouler. Ces informations sont présentées par pays. Environ 30% des fumeurs français ont indiqué n’avoir jamais lu, ni examiné attentivement les avertissements sanitaires apposés sur les paquets de cigarettes.
Impact des avertissements
Outre l’augmentation des prix, les gouvernements ont employés d’autres mesures également efficaces comme les campagnes d’information et de prévention, interdiction de fumer sur les lieux de travail et dans les endroits publics et des mises en garde des méfaits du tabac sur les emballages. C’est ainsi que 50% des fumeurs affirment que les avertissements sur les paquets de cigarettes leur rappellent « beaucoup » les risques du tabagisme sur la santé, auxquels s’ajoutent 31% qui déclarent que les avertissements leur rappellent « un peu » ces risques.
Cette photo est l'exemple d'un avertissement présent sur tous les paquets de cigarettes.
Plus d’un fumeur sur 4 (28%) estiment que les avertissements sur les paquets de cigarettes augmentent « un peu » ou « beaucoup » leurs chances d’arrêter de fumer. Les avertissements ont conduit 21% des fumeurs à ne pas prendre une cigarette au moins une fois au cours du dernier mois alors qu’ils étaient sur le point de le faire.
Concernant le tabagisme dans les lieux publics, la plupart des fumeurs et non fumeurs fréquentent régulièrement les cafés, les pubs ou les bars. On observe la baisse spectaculaire du tabagisme constatée dans ces lieux après l’interdiction. Avant l’interdiction, parmi les 80 % de fumeurs et 70 % de non fumeurs ayant fréquenté un café, un pub ou un bar au cours de six derniers mois, la plupart des fumeurs (97 %) et des non fumeurs (93 %) répondaient qu’ils avaient vu des clients fumer à l’intérieur de l’établissement. Après l’interdiction, ils n’étaient plus que 4 % des fumeurs et 5 % des non fumeurs à avoir vu des consommateurs fumer à l’intérieur. Avant l’interdiction dans les restaurants, 71 % des fumeurs et 57 % des non fumeurs avaient remarqué que la clientèle fumait, ils n’étaient plus que 2 % et 3 % respectivement dans ce cas après l’entrée en vigueur de l’interdiction.
Fumeurs et non fumeurs estiment que les réglementations antitabac en France sont bien appliquées : 95 % des fumeurs et 85 % des non fumeurs déclarent que l’interdiction est totalement appliquée dans les bars, et 98 % des fumeurs et 92 % des non fumeurs dans les restaurants.
Avant l’interdiction, 87 % des fumeurs déclaraient avoir fumé lors de leur dernière visite dans un café, un bar ou un restaurant, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur, contre 72 % seulement après l’interdiction. Avant l’interdiction, 95% de ceux qui avaient fumé lors de leur dernière visite dans un café, bar ou pub, avaient fumé à l’intérieur. Après l’interdiction, c’est moins de 3% qui déclaraient avoir fumé à l’intérieur, exact reflet de la perception de la bonne application de la loi déclarée par les fumeurs et non fumeurs français.
Pour conclure, nous pouvons dire que l’enquête ITC France démontre clairement que l’interdiction de fumer sur le lieu de travail, dans les cafés, les bars et les restaurants a été un succès, et que les fumeurs et les non fumeurs continuent de soutenir les efforts de la France en faveur du développement et de la mise en place des politiques de la Convention cadre pour la lutte antitabac.
En premier lieu, les fumeurs aussi bien que les non fumeurs déclarent que presque tous les cafés, bars et restaurants sont entièrement non fumeurs et que l’interdiction est bien appliquée. Par ailleurs, le soutien à la nouvelle réglementation par les fumeurs et les non fumeurs français s’est amplifié après l’interdiction. Enfin, le tabagisme à domicile a diminué après l’interdiction, contrairement à ce que certains prétendaient. Les études internationales sur l’impact des interdictions de fumer dans les lieux publics démontrent sans ambiguïté les avantages majeurs pour la santé publique associés à une réduction de l’exposition au tabagisme passif et à plus long terme à une dé-normalisation du tabagisme. En France, la santé publique sera renforcée après la mise en œuvre de ces restrictions imposées aux fumeurs dans les lieux publics.
En second lieu, les fumeurs français apprécient les politiques gouvernementales destinées à les aider à arrêter de fumer. Ils regrettent d’être dépendants du tabac, voudraient arrêter, et ont déjà souvent plusieurs tentatives à leur actif. Toutefois, l’aide médicale est encore insuffisante et les fumeurs estiment que le gouvernement devrait mettre en place des services supplémentaires d’assistance au sevrage tabagique. Les fumeurs français ont conscience du prix élevé du tabac, et presque deux tiers d’entre eux évoquent le prix comme une des principales raisons susceptibles de les faire arrêter. Ceci souligne l’importance et l’efficacité des hausses de taxes pour diminuer le tabagisme.
Enfin, les niveaux élevés de sensibilisation aux avertissements sanitaires textuels suggèrent qu’il serait désormais opportun d’influencer plus fortement les fumeurs en France par l’introduction d’avertissements illustrés. En effet, les avertissements illustrés sont un composant efficace dans le cadre d’une approche globale de lutte contre le tabac. Leur utilisation est préconisée dans les directives adoptées de la Cclat sur le conditionnement et l’étiquetage des produits de tabac.
Les résultats de l’enquête ITC France offrent des perspectives optimistes pour la mise en place réussie des futures politiques de la Cclat en France, ce qui laisse présager une diminution de la première cause évitable de décès et de maladies.